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L'amour de la maison ronde

Gérard Lochon


N.B. - En caractères plus petits, quelques données apportées par l'auteur de l'article ne sont pas de la plume de Bernard Thomasson

 

Bernard Thomasson est journaliste. Son nom vous est sans doute familier si vous êtes un auditeur fidèle de franceinfo (nouveau nom de France Info). Son Dictionnaire amoureux de la Maison de la radio et de la musique couvre effectivement toutes les lettres de l'alphabet, avec des entrées allant de "A Marie" (la compagne de l'auteur) à "Zigotos". Il fallait réellement être amoureux de la Maison pour décider de lui consacrer un ouvrage aussi détaillé. Nous nous attacherons simplement ici à évoquer l'histoire et les transformations de la Maison de la radio devenue par la volonté de la présidente de Radio France, Sibyle Veil, la Maison de la radio et de la musique, le 10 janvier 2023.

La Tour Eiffel a été utilisée pour de premiers essais de radio, ce qui allait la sauver de la destruction.

L'émetteur a commencé à diffuser en novembre 1921 "parfois un cours de Bourse, un morceau de violon et des bribes d'informations". Un studio y avait été enterré au pied d'un de ses piliers. Le journaliste se plait à la considérer comme "la toute première Maison de la radio".

L'auteur écrit que le rêve d'offrir un lieu aux professionnels de l'audiovisuel remonte à l'avant-guerre et que l'idée fut reprise à la Libération. Plusieurs emplacements furent envisagés: Rond-Point de la Défense, Boulevard des Invalides, Quai Edouard Branly, ruine d'un pavillon à Sèvres. En 1952 le conseil municipal de Paris céda à l'Etat un terrain de 38 000 m2 quai de Passy renommé Boulevard du Président Kennedy en hommage au président des Etats Unis après son assassinat. Avantage de cette localisation: elle était loin de toute ligne de métro pour ne pas subir des vibrations du sol susceptibles de provoquer des perturbations sonores. Le site, qui avait été occupé par une usine à gaz démolie à la fin des années 1920, était devenu un terrain de jeu pour les enfants du quartier. La construction allait tarder. On apprend que les riverains se mobilisèrent contre le projet, les recours judiciaires se multiplièrent. Un groupe de députés tenta de faire annuler la vente. L'acte d'acquisition définitif finit quand même par être signé, le 18 mai 1953.  

Bernard Thomasson nous apprend que vingt-six projets étaient en concurrence. Celui de Henri Bernard a été choisi car il correspondait le mieux aux besoins et impératifs de la radio. L'architecte de la Maison ronde, est à l'origine du siège du Conseil de l'Europe à Strasbourg, d'une tour du Front de Seine à Paris, du CHU de Caen; il a aussi dessiné le plan de masse du village olympique de Grenoble. Il paraît que la Maison de la radio était son édifice préféré. On a parlé d'une prouesse comme le CNIT, le Pont de Tancarville, le paquebot France ou le Concorde. L'avantage d'avoir conçu un bâtiment circulaire est que ça permettait de fabriquer des studios de forme trapézoïdale et donc d'éviter l'écueil consistant à créer des rectangles, pour des raison d'acoustique. 


Le bâtiment avait fait l'objet de prouesses techniques: façades en aluminium, baies vitrées géantes, géothermie assurant autant le chauffage que la climatisation, "procédé inédit en France à l'époque". Des matériaux nobles comme le marbre, des bois luxueux, avaient été choisis et les meilleurs décorateurs avaient été sollicités pour les intérieurs. Dix ans après la désignation de l'architecte, l'édifice a été inauguré, le 14 décembre 1963, par le Général de Gaulle, accueilli sur place par son ministre de l'Information et par le directeur général de la RTF, Robert Bordaz. Le Général salua "le mariage réussi de l'art et de la technique".


Le Journal Musical Français aurait-il espéré en janvier 1964, quelques semaines après l'inauguration, que l'édifice qu'il présentait aux Jeunesses Musicales de France devienne en 2023 la Maison de la radio et de la musique?


Un ancien preneur de son a dit "je suis admiratif des études faites pour la construction d'un studio de fiction. Tout a été pensé : le choix et la qualité des matériaux, les emplacements des personnes, les dimensions des vitres, les acoustiques variées, l'isolation…" Le 14 octobre 1985, tôt le matin, un engin explosif placé sur le parking de la Maison de la radio a explosé sans faire de victimes mais causant d'importants dégâts sur la façade et détruisant trois cars régie et deux voitures de reportage.


Bernard Thomasson raconte l'origine de la décision de travaux de grande ampleur: Jean-Marie Cavada apprit, peu après sa nomination à la présidence de Radio France en novembre 1998, que la stabilité au feu de la tour de la Maison était de l'ordre du quart d'heure mais qu'il fallait vingt-deux minutes pour descendre. Cela mettait en péril la vie de dizaines de collaborateurs et le patrimoine discographique (douze millions de disques et de bandes magnétiques prévus). Avec l'aide du Premier ministre Lionel Jospin, Cavada finit par obtenir les crédits pour rénover la tour de la Maison, désamianter et remettre aux normes l'édifice. J.-M. Cavada voulait aussi rénover les studios de musique. Fallait-il tout déménager pour le temps des travaux ou évoluer par secteurs et maintenir les activités de la radio sur place? Le président Cavada comprit que les fonctionnaires de Bercy voulaient revendre le terrain de Passy, de même que les fréquences de France Culture et fermer un des deux orchestres. Il refusa et mit sa démission en jeu. Le président Chirac trancha, il aurait dit qu'il n'était pas question de faire de la Maison de la radio un parking. On lit que le président suivant, Jean Paul Cluzel, aurait bien voulu tout déménager dans un bâtiment plus fonctionnel mais Dominique de Villepin, alors à Matignon, lui opposa un refus catégorique. Une réhabilitation respectueuse de l'œuvre de Henri Bernard allait être lancée. "Les travaux furent prévus pour s'étaler de 2006 à 2012, en réalité ils se prolongeront au moins jusqu'en 2025". La tour a été évacuée en 2004 et c'est par elle que les travaux ont débuté la même année. S'agissant d'un immeuble de grande hauteur, bien que moins haut que ce qu'avait souhaité son architecte, il fallait que sa tenue au feu soit de deux heures. 

Les studios de création de la couronne intermédiaire sont en cours de réhabilitation jusqu'en 2025, de même que d'autres travaux. Bernard Thomasson détaille la nature des travaux nécessaires pour atteindre cet objectif. Il écrit: "la radio ressemble beaucoup à sa version d'origine mais ceux qui, comme moi, la fréquentent depuis plus de trente ans voient bien qu'elle est devenue tout autre". "Presque tout a été repensé, curé, démonté, restructuré, adapté, rénové, embelli". France Inter a déménagé dans un immeuble proche de la Maison de la radio. "Presque 450 personnes à reloger vécurent mal cette transition obligatoire qui a duré pour Inter de longues années". On peut établir une liste de services ou locaux qui n'ont pas survécu à la réhabilitation : le musée, les agences SNCF et Air France, le bureau de poste, l'agence bancaire, le Relais H du hall d'entrée, le restaurant VIP ; les quatorze abris antiatomique des débuts servent maintenant de pièces de stockage.


A sa création, la Maison de la radio comportait 63 studios de dimensions très diverses. De nos jours une trentaine de petits studios sont utilisés au quotidien par les antennes. Tous, parait-il, sont équipés de mini caméra fixes. L'auteur détaille un certain nombre de grands ou moyens studios. 

Le 102, "ce fut un lieu d'exception", domaine entre autres du "Palmarès des chansons" de Guy Lux. Le 103 était destiné à des enregistrements musicaux sans public. Les deux ont été cassés pour faire place à l'Auditorium.

L'Auditorium, inauguré en 2014. "Quelle salle ! 1461 places en arène, la scène au centre, les spectateurs tout autour". Bernard Thomasson, subjugué, en souligne l'esthétique chaleureuse et donne des précisions sur son acoustique, évoquant des "conditions d'écoute magistrales". Si le 104 a été déshabillé de son orgue (offert à la Cathédrale de Lille), l'Auditorium en a obtenu un tout neuf, après six ans de conception, pour cinq millions d'euros. Il dispose de deux consoles pouvant être jouées ensemble. Il nécessita plus d'un an de réglages après son inauguration.

Le 104 "a longtemps porté le répertoire classique et la musique contemporaine". C'était le temple de l'Orchestre National, créé en 1934, du Philharmonique (1937) et du Chœur. Il a été entièrement remis à neuf en conservant ses dimensions initiales. "Le jazz puis le rock et la pop ont, peu à peu, investi les lieux". Il sert maintenant aussi à des congrès, festivals, forum… et même des défilés de mode. En 1963 aucune salle n'a été prévue pour le Chœur de la radio, qui s'est parfois retrouvé à répéter dans les couloirs. Il est actuellement installé à Boulogne-Billancourt et intégrera le studio 107 dessiné pour lui.

Le 105, deux cent quarante places, baptisé le Charles Trenet. C'est le studio historique des grands rendez-vous d'humour de France Inter: l'Oreille en coin, Rien à cirer, Le Fou du roi. En cours de rénovation, il réouvrira en 2025. Le 107 était le domaine de la chanteuse Mireille ("Le petit conservatoire de la chanson"). Le 108 et le 109 seront utilisés pour les magazines et les documentaires. Le 110 et le 111 seront fondus en un seul studio qui servira aux répétitions des orchestres et soulagera l'Auditorium après 2025. Les six chambres d'écho ne sont plus utilisées, on ajoute depuis longtemps de la réverbération à l'aide d'appareils électroniques, elles sont devenues des sites de stockage.

Le 221, on lit qu'il est "digne des plus beaux studios de France Télévisions". Dix caméras robotisées, une loge de maquillage, des murs d'images. Il est équipé d'une double régie radio-télé. Il sert à Franceinfo télé. Franceinfo radio se trouve au 421, deux étages au-dessus.


Le 410, on y fabrique des contenus destinés à la fois à la radio, à la télévision et à tous les nouveaux supports de diffusion en son et en images sur le net et les applications. 

Le 961 est affecté à l'enregistrement des messages publicitaires. A Radio France le métier de bruiteur tend à disparaitre mais il existe encore dans la Maison de la radio et de la musique des studios affectés à leur activité.

Le CDM (Centre de distribution des modulations). Peut-être faut-il préciser que "modulations" pourrait être assimilé à "sons". Bernard Thomasson évoque avec justesse un "poste d'aiguillages névralgique et stratégique". Le CDM reçoit de nombreuses sources sonores et les adresse à beaucoup de destinataires. A l'origine les distributions se faisaient en branchant et débranchant des câbles. De nos jours ce centre où transitent en particulier les programmes des vingt-quatre stations régionales de France Bleu est entièrement numérisé et la plupart des connexions sont établies à l'aide d'écrans tactiles. Six postes de travail sont utilisés au CDM en cas d'événements majeurs. L'auteur donne en exemple les attentats, soirées électorales, compétitions de haut niveau, festivals internationaux (Cannes, Avignon…) Le CDM assure désormais des prestations vidéo identiques à celles de l'audio.

Nous apprenons que la Maison n'a plus la vie nocturne foisonnante qui était la sienne au siècle dernier, les émissions de nuit en direct n'existant plus. A partir des années 1990 les directs de nuit laissèrent place à des rediffusions. Cependant, le journaliste affirme que, contrairement à la télévision publique, la Maison de la radio produit elle-même tout ce qu'elle diffuse.


De nombreux collègues se souviennent sans nul doute que, dans les années 70 et avant, on pénétrait dans la Maison de la radio sans même montrer patte blanche. Un éventuel bonjour au surveillant suffisait. Rarement il nous demandait la carte professionnelle. La donne a radicalement changé : malheur à celui qui a oublié son badge, c'est la "galère totale". Le badge sert pour accéder à son bureau, au studio, payer à la cantine, accéder au parking sous-terrain. Des portiques de détection ont été installés. A peine croyable, les plantons des portes d'entrée portent des gilets pare-balles, vous lirez cela à la page 90 du livre ! La mise en service des badges a abouti à un cloisonnement, une absence de circulation entre les services. Bernard Thomasson évoque la "nostalgie de l'époque où on pouvait accéder au moindre recoin" de la maison. Il a, pour préparer son ouvrage, "arpenté l'édifice de long en large, le plus souvent accompagné d'une personne accréditée pour son secteur".

Dix pages sont consacrées aux grèves et à mai 68. A l'époque, la radio–télé était sous la mainmise du pouvoir qui nommait les directeurs et disposait d'un Service de Liaison Interministérielle pour l'Information" surnommé "Service de Ligotage de l'Information". Il avait même été envisagé de créer dans la maison ronde un appartement qui aurait été occupé par le ministre de l'Information "afin de mieux surveiller ses ouailles". On se souvient que les contenus des journaux étaient validés par lui. Le 3 juin 1968 le nouveau ministre en charge de cette fonction, Yves Guéna, était invité à l'antenne. "Dès qu'il eut fini de s'exprimer, une voix s'empara des ondes: "après la déclaration du ministre de l'information, les journalistes de France Inter décidèrent de se mettre en grève immédiatement. Puis on entendit de la musique".


Pour la cantatrice Natalie Dessay, la Maison de la radio et de la musique est une "verrue horrible", rien ne lui plait à part le nouvel Auditorium. Elle "prône de tout raser et tout refaire". Yves Bigot qui fut directeur des programmes de France Inter venu du privé n'est pas tendre avec la Maison de la radio des débuts. Il parle d'une "ambiance service public, grise, triste comme dans un commissariat ou à la sécurité sociale". Mais il ajoute que "depuis les travaux elle est rentrée dans l'ère du futur. Elle est magnifique". Outre l'enthousiasme de Bernard Thomasson ("[La Maison est] toujours aussi moderne"; "elle resplendit d'une nouvelle jeunesse"), on peut citer, à la lecture de son dictionnaire, cet architecte qui lance "c'est un bâtiment que j'aime de plus en plus", ou François Hollande qui parle de "la plus grande entreprise culturelle". Le 26 mars 2018 la Maison de la radio a été officiellement inscrite au titre des monuments historiques par la DRAC d'Ile de France.

Juste avant la lettre Z: Yann Paranthoën. Bernard Thomasson évoque "un monstre sacré, véritable légende radiophonique". Yann Paranthoën s'était installé, au cinquième étage de la radiale, une cellule de montage et de mixage, équipée d'une dizaine de magnétophones (au fait, la fin de la bande magnétique a eu lieu il y a près d'un quart de siècle). Il a réalisé, sur le temps dont il pouvait disposer, une dizaine d'œuvres radiophoniques dont plus de la moitié ont été diffusées par Radio France. "Il s'est fait construire une maison ronde […], comme une deuxième Maison de la radio, la sienne". L'émotion au moment de l'incendie d'ampleur limitée du 31 octobre 2014 qui a provoqué une évacuation générale a confirmé l'attachement à la Maison de la radio de ceux qui y travaillent et en sont si fiers.



Portrait

Pourquoi Bernard Thomasson est amoureux

Ambroise Perrin 


C’est un dictionnaire, mais le mot important, c'est amoureux. Dictionnaire amoureux de la Maison de la radio et de la musique. Bernard Thomasson est journaliste à la Radio Franceinfo, il travaille à la Maison, la Maison son lieu de travail, et non pas le travail chez lui, à la maison. 

C’est vrai que c'est un peu le bazar, la Maison ronde, avec son esprit de famille tellement revendiqué. Démonstration en poursuivant les 150 mots de ce dictionnaire de 679 pages, de Ad-hoc à Zigotos, ce qui n'est pas beaucoup si on compare (pour rire sérieusement) avec les 24 036 pages sur quatre colonnes du Grand Dictionnaire Universel du XIXème siècle de Pierre Larousse. 

Gérard Lochon a lu très attentivement le dictionnaire de Bernard Thomasson, et il nous résume avec ferveur l'histoire des 38 000 m² du quai de Passy à Paris, renommé dans la tristesse d'un assassinat, boulevard du président Kennedy. Quelle altère histoire !

Avant de tourner dans la Maison ronde parisienne, les journalistes font souvent un tour de France initiatique, d’une station régionale l’autre ; Bernard Thomasson passa à Limoges, Besançon, Brest, Auxerre, Melun, Guéret et Strasbourg, où il poussa la chansonnette avec Roger Siffer et Cookie Dingler. Journaliste libéré c’est pas si facile, un peu chanteur donc, et aussi écrivain et gastronome ! C'est toujours une question de passion, nous raconte-t-il, fasciné par un De Gaulle qui, en 1963, empressé par la puissance de la France, inaugurera le bâtiment fier de ses baies vitrées de 12 mètres, les plus hautes d’Europe. 

Bernard Thomasson éprouve-t-il de la nostalgie pour cette France conquérante par les ondes et imposante par sa Voix, monopole d'État, car que de coups de cœur mélancoliques dans la rédaction de ce dictionnaire ! Ce fut une recherche qui lui fit découvrir un nombre énorme d'archives à chaque coin du rond. Il reconnaît partager « un état d'esprit maison » où chaque journaliste prend soin de connaître son prédécesseur, comme dans une famille, mais il avoue aussi aimer « aller voir ailleurs » ... En consultant la liste des remerciements en fin de volume, quatre pages bien serrées, on comprend pourquoi l'on puisse être collectivement amoureux dans la Maison ronde. 

À l'avant-garde il y a 60 ans, la Maison de la radio sera toujours à l'avant-garde dans 30 ans, préconise le journaliste, sublimement optimiste : « Personne ne touchera à cet esprit de service public, c'est une notion, en 2024, plus forte que jamais ». À la télévision publique, qui est comme la frangine de la radio publique, on dirait : « Étonnant, non ? »


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